Il est un lieu commun d’avancer que notre monde semble s’embourber dans une spirale de violence sans fin. Les trêves ne durent que peu de temps. Au point de n’être qu’un rêve qui se dissipe, si rapidement, comme une légère brume par le souffle nauséabond des conflits en tout genre. Cependant, cette année, cette violence a répondu, également, présent le jour de la rentrée de nos enfants. L’école, lieu de tous les apprentissages, lieu de vie de nos bambins, lieu d’émoi, lieu où les genoux s’écorchent en courant après un ballon. Cette institution doit-elle devenir une forteresse pour protéger nos marmots en culotte courte ?
La rentrée est loin derrière nous maintenant, ce moment particulier qui s’accompagne pour certains de nos enfants d’une « boule au ventre », tant l’appréhension peut-être grande. Et si, cette année la boule semblait plus lourde que d’habitude, une anxiété qui vient d’ailleurs pour nos petites têtes blondes ou brunes, crépues ou lisses …L’odeur du cuir des cartables a laissé place à celle des bandoulières des armes des soldats postés à la sortie de nos écoles.
Le temps s’est écoulé depuis la rentrée, mais il est une question qui demeure à notre esprit : Faudra-t-il s’habituer à vivre ainsi ? Faudra-t-il s’habituer à la violence ? Faut-il s’habituer à répondre à cette violence en tout genre (dont le terroriste est une ramification) par une autre forme de violence ?
A ces questions, il n’est pas de réponse aisée, au risque de tomber dans la facilité d’un discours distant, lisse et sans saveur, écrit par un individu assis confortablement dans son bureau. Amis lecteurs, prenez ce texte que comme l’esquisse d’une humble réflexion, loin d’être aboutie. Arpenter le sentier de la paix n’est pas une course de vitesse, plus une course de fond.
Habitués à la violence ?
A la à la première partie de la question du titre « Habitués à la violence ? », la réponse sans doute serait l’affirmative. Certainement oui, il nous faudra encore vivre quelques années dans un certain climat de tension. Selon quelques spécialistes, la menace terroriste par exemple, planera sur notre pays pendant encore quelques années. Sans parler de la violence plus commune. Oui, notre réalité semble se résumer à cette vanité d’un monde violent, agressif et désolant. En tant que croyant, résonne à notre esprit ce triste constat que Dieu fera avant le déluge, « ils ont rempli la terre de violence » (Genèse 6.9) et la tentative de résolution du problème proposé par Dieu ôter le mal en ôtant ceux qui le commettent. Si la solution ne fut pas un succès, c’est aussi parce que l’amour de Dieu pour ses humains si vilains restait sans bornes, et qu’Il prévoyait déjà une alternative.
Habitués de la violence ?
Les ronrons des médias autour de ces faits divers dramatiques du quotidien, cette menace terroriste qui plane au dessus de nos têtes, pourraient nous anesthésier. Le principe de réalité veut qu’il nous faut nous « habituer à la violence », mais pas à être des « habitués de la violence ». Autrement dit, si sur le principe de la réalité de la violence, nous n’y pouvons que peu, il nous appartient de cheminer, de ne pas nous laisser endormir par la mélodie enivrante du fatalisme ou du fanatisme. « Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui » disait Martin Luther King.
Soyons, donc, comme ce lointain porte-parole de Dieu, Habacuc, des « indignés de la violence ». Des « indignés » qui questionnent cette violence (Pourquoi ? Jusques à quand ? cf. Habbacuc 1.3, 9), des « indignés » qui crient face à la violence dont ils sont victimes (Job 19.7), spectateurs voire acteurs. Ne nous lassons pas, ne nous laissons pas, non plus, tenter par la loi du talion, qu’elle soit en geste, en parole ou en pensée.
En tant que croyants, chrétiens, il nous appartient d’interroger ce monde, cette violence à la lumière de notre Lampe qu’est la Parole de Dieu. Ici comme ailleurs, il nous faudra certainement vivre dans un monde « sous violence ». Mais, en tant que croyant le métarécit proposé par la foi chrétienne, bien que ne dressant pas un avenir a priori plus optimiste, propose un chemin d’espérance pour « indignés », chemin de vie, de paix !
Indignés de la violence !
Ayant dit cela, si la « violence » ne peut être une habitude pour nous, s’il nous appartient d’interroger cette violence, de nous en indigner, que faire alors ?
« C’est la faute à la société ! »
Dénoncer les maux de notre société comme seule cause de toute cette violence, peut se tenir. Mais n’est-ce pas un peu trop facile ? Jeter la pierre est-elle réponse suffisante à la violence qui nous entoure ? Ne cherchons-nous pas, ainsi, à nous dédouaner et nous dispenser de réfléchir à la responsabilité quant à la résolution du problème : « Le monde est ainsi fait, je n’y peux rien ! » A cela s’ajoute, le constat de la forte défiance, par la plupart de nos contemporains, à l’égard des politiques pour endiguer ces maux, il ne reste, donc, qu’à désespérer et s’allonger sur un caillou en attendant que cela passe ! Mais, si un autre chemin s’ouvrait devant nous …
Mauvaise herbe ou mauvaise feuille ?
Cette violence qui nous assaille tant vient, fondamentalement, à la rencontre de notre for intérieur. Qu’est-ce qui vibre au fond de moi lorsque je suis spectateur, victime de ces fléaux ? Suis-je autant incapable que cela de violence ? Peut-être pas de violence meurtrière, mais la méditation du sermon sur la montagne, nous invite à ne pas laisser le bruit des guerres couvrir la réalité de notre être. Par ses enseignements, Jésus nous conduit sur le sentier de la vérité sur nous mêmes et sur ce monde. Sur ce monde, il est résultat du mal qui se propage, depuis le commencement. Sur nous mêmes, il nous invite à considérer que de notre cœur peut jaillir bien des pensées destructrices, des actions dévastatrices pour mon prochain. Jésus nous invite à aller plus loin que simplement regarder les feuilles noircies par la violence, il nous invite à descendre à la racine, au seuil de notre cœur d’où vient la violence potentielle ! Mais si du fond de notre être pouvait, aussi, jaillir la vie ?
Jésus, celui qui a « a été pris par la violence et le jugement […] à cause des transgressions » (Esaïe 53.8) des hommes, nous propose une espérance, un règne de paix et de vie – à venir et déjà là – qui doit, dès lors, orienter toute notre action. Cette espérance d’un avenir radieux nous met en route, nous pousse à « apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » (Martin Luther King). Cette espérance nous invite à un autre regard sur ce monde, car si Jésus a pris sur Lui la violence d’un jugement indu, c’est justement pour apporter la paix du cœur et résoudre en profondeur le problème de cette humanité violente.
Et nous, nous sommes porteurs de ce message ! Au lieu, d’enlever les feuilles qui flétrissent sur une mauvaise herbe, Jésus a permis que soit arrachée la mauvaise herbe, pour laisser s’épanouir la vie d’une belle plante qui puise sa force en Lui. Aussi, Jésus nous invite à élargir notre vision et peut nous commander d’« Aimez vos ennemis » (Mtt 5.44). De ce texte, Dietrich Bonhoeffer, commentant : « L’amour pour les ennemis, c’est uniquement l’amour de Jésus-Christ, de celui qui est allé à la croix pour ses ennemis et qui, sur la croix, a prié pour eux. Or, en considérant le chemin que Jésus a suivi jusqu’à la croix, les disciples eux aussi reconnaissent qu’ils étaient comptés parmi les ennemis de Jésus, dont son amour a triomphé. Cet amour ouvre les yeux du disciple de sorte qu’il reconnaît, dans l’ennemi, le frère, de sorte qu’il se met à agir en frère à son égard. Pourquoi ? Parce que lui-même ne vit que de l’amour de celui qui a agi en frère vis-à-vis de lui et qui l’a fait entrer, comme son prochain, dans sa communion ».
Indignés de la violence, mais semeurs de Vie …
Comprendre que nous ne sommes plus « ennemis », mais amis du Christ, devrait nous pousser à, être artisans de paix, à l’amour du prochain, à aimer envers et contre tout dans le quotidien. Nous ne pouvons pas changer ce monde, mais nous pouvons nous laissons changer par Dieu, pour pouvoir humblement changer le quotidien de mon prochain, même si j’ai de la peine à le comprendre, à l’aimer.
« Aimez vos ennemis c’est à dire (traduction personnelle) prier pour ceux qui vous persécutent » poursuit Jésus. Et si la prière pour les ennemis devenait la marque d’amour de l’ennemi : prier n’est pas chose facile, mais alors pour ses ennemis, quelle épreuve ! Qui plus est, la prière reste ce lieu saint, ce lieu d’intimité avec Dieu, alors y inviter celui qui me persécute, quelle épine ! Et pourtant, si dans la prière nous trouvions le moyen d’aller au devant de mon ennemi, et si dans la prière, nous pouvions trouver la force de transformer notre indignation face à la violence, en amour pour ceux qui la commettent.